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Un sac sur le dos Un sac sur le dos
Amandine

« Prends soin de toi » remplace peu à peu le « Sois prudent·e » lancé au moment des adieux. Mais qu’est-ce que prendre soin de soi ? Et pourquoi cette recommandation, comme une injonction pour pallier un manque d’attention à ses besoins qu’aurait le·a voyageur·euse une fois sur les routes ? Bref, que cache ce « Prends soin de toi » ?

La bonne route et la bonne étoile

Avant, on disait « Que Dieu te garde » (expression que nous entendons encore en Amérique latine) et « Que tout se passe bien ». Maintenant, plus de Dieu ou de bonne étoile à qui s’en remettre. Juste soi. Et cette vague idée du « tout » et du « bien ». Qu’est-ce que c’est qu’un voyage qui se passe bien ? Cette idée ne se limite certainement pas à la réalisation du voyage tel qu’il était prévu, comme j’en ai déjà parlé dans l’article Le mythe du voyage parfait.

Non, on touche à autre chose que de l’organisationnel. On se dirige davantage du côté de la santé, de la sécurité et du bienêtre. Ce « Prends soin de toi » est lancé comme une amulette pour protéger le voyageur à son départ.

Une amulette pour conjurer un sort ? Celui de s’oublier sur les routes, de se négliger, de ne pas prendre soin de soi… On dit rarement « Prends soin de toi » à quelqu’un qui part travailler. Pourquoi cette crainte liée au voyage ?

Pourquoi le voyage fait-il peur ?

La famille et les amis sont souvent plus inquiets que le voyageur, la veille d’un grand départ. « Sois prudent·e, donne de tes nouvelles, tu as bien tout ce qu’il te faut ? ».

Les conseils et recommandations pleuvent avec, toujours, formulé plus ou moins explicitement, l’idée de prendre soin de soi. Jusqu’il y a peu, cela ne me faisait pas particulièrement réagir. Une formule comme tant d’autres… Mais récemment, je suis allée dans les Alpes françaises, aux Menuires, assister à une semaine de conférences et ateliers dédiés au bienêtre : la Yogiski Week. Et cela m’a fait réfléchir.

J’ai rencontré des professionnels qui prônaient le bienêtre sous différentes formes et approches. J’ai croisé la route de personnes en souffrance ou en épuisement de ne s’être pas assez écoutées, de n’avoir pas assez pris soin d’elles. Des femmes et hommes qui se sont investi·e·s dans une vie et un rythme quotidien qui les ont dépassé·e·s.

Et là je me suis dit, pourquoi ne souhaite-t-on pas au sédentaire, dans sa vie de tous les jours, de prendre soin de lui ? Pourquoi est-ce une formule que l’on m’offre uniquement au moment de mes départs ?

Sans doute parce que le voyage fait peur.

Il vient couper le rythme de la vie sédentaire. Offrir une parenthèse qui peut ébranler tant le voyageur que son entourage. On sort la tête des rouages, on remet certaines choses en perspective ou en question. On prend le temps de s’arrêter et, tout simplement, de respirer.

La peur liée au voyage vient également chatouiller notre rapport à l’inconnu et à ce monde hors de notre fameuse zone de confort. L’ici et maintenant, même s’il n’est pas parfait, a l’avantage d’être connu. On sait à quoi s’attendre. D’où la force des résistances au changement. L’ailleurs et le futur, quant à eux, sont pleins de points d’interrogation, comme autant de possibles en suspens. Et gérer l’incertitude, dans notre société d’exactitude, ce n’est pas toujours évident.

Alors, pour contrer la peur du voyage, l’inconfort de la remise en question de notre quotidien, l’angoisse de l’inconnu… on nous dit de prendre soin de nous. Une formule qui vient boucher tous ces vides et leur donner une solution miracle. Prétendre que tout est sous contrôle : sous notre contrôle. Si nous faisons ce qu’il faut, nous conjurerons le sort.

Qu’est-ce que prendre soin de soi ?

Maintenant que je sais pourquoi tant de fois cette amulette « Prends soin de toi » m’a été offerte avant un voyage, maintenant que je la tiens au creux de mes mains, j’ai envie d’aller plus loin. De l’examiner plus en détail. Que veut-elle me dire ? Qu’est-ce que cela signifie de « Prendre soin de soi ». Un peu comme le bonheur, c’est une notion qui a l’air à la fois fourretout et très personnelle.

C’est toujours très difficile de définir ce genre de notion lorsque l’on reste centré·e sur soi. Par contre, avec un pas de côté, la question prend un tout autre sens. Prendre soin des autres, c’est plus évident à se représenter. Prendre soin d’un enfant. Prendre soin de ses invité·e·s. Les aider, leur offrir une certaine sécurité, un confort. Répondre à leurs besoins et même, si possible, les devancer. Les entourer de bienveillance aussi.

On oublie souvent ce petit mot : bienveillance.
Et si c’était la clé du bienêtre, la clé de cette amulette « Prends soin de toi » ?

La bienveillance

Être bienveillant, envers soi et les autres. De plus en plus, je me dis que c’est une clé. Une clé importante du bienêtre et du bienvivre. Une clé qu’on oublie souvent et qui se voit reléguée au monde des hippies bobo, décrédibilisée. Comme si elle n’avait pas sa place dans notre société. D’où, aussi, sa réapparition lorsque l’on quitte la société pour partir en voyage…

Je vous invite à regarder la vidéo de « Et tout le monde s’en fout » sur la bienveillance :

Être bienveillant à son égard, c’est souvent plus facile à dire qu’à faire. Il a cette satanée voix dans nos têtes qui nous critique sans cesse. Sur notre physique, notre façon de nous comporter et de parler, notre capacité à atteindre à objectif ou à réaliser un rêve. Cette petite voix qui nous souffle que nous ne valons pas grand-chose ou moins que les autres. Tout le monde ne l’entend pas constamment ni avec la même intensité. Mais je pense que tout le monde connait cette petite voix.

Et quelle aberration ! Imaginez-vous parler à quelqu’un d’autre comme vous vous parlez à vous même. Vous regarder dans le miroir et vous dire que vous êtes moches. Ne pas trouver vos mots lors d’une conversation et vous dire que vous êtes stupide. Casser un objet et vous dire que vous êtes un·e incapable… Non, jamais vous ne feriez cela ! Vous auriez même tendance à entourer l’autre de messages positifs : « Ce n’est pas grave, ça arrive, je t’aime comme tu es. »

Mais se dire toutes ses horreurs à soi-même, sous prétexte que ces phrases sont prononcées mentalement sans franchir nos lèvres, tout à coup c’est correct ?

Si vous souhaitez apprendre à prendre soin de vous, commencez par la bienveillance. Et si vous ne savez par où commencer, parlez-vous comme vous parleriez à un·e ami·e, un petit frère ou une petite sœur. Lorsque vous vous regardez dans la glace tous les matins, pensez que c’est ellui que vous regardez, et envoyez-lui des messages positifs. C’est souvent plus facile d’être bienveillant·e avec les autres… en tout cas dans un premier temps !

La bienveillance… que pour les femmes ?

La bienveillance, le bienêtre, ce sont des notions souvent considérées comme légères, accessoires… et féminines. J’ai d’ailleurs été frappée de voir le nombre d’hommes présents aux ateliers et conférences de la Yogiski Week. La plupart du temps, François était le seul. Et lors d’une conférence sur les émotions, François a pris la parole et mis très justement des mots sur ce phénomène.

Les hommes, depuis qu’ils sont petits garçons, ont cette injonction de force, de puissance. « Sois fort, un garçon ça ne pleure pas ! Ne fais pas ta fillette ! » Ou encore « Tu joues comme une fille »… Les émotions, c’est pour les faibles. Et un garçon, c’est plus fort qu’une fille.

Le manque de performance et la présence de douceur tout comme l’expression des émotions sont donc associés aux femmes. Un monde féminin qui est, sous-entendu, moins bien que celui des hommes. Hé oui, encore et toujours ce sexisme ordinaire ! Alors les hommes, ça ne pleure pas, ça ne dit pas que c’est triste ou angoissé. Un homme, ça explose, de joie ou de colère. C’est la seule façon de montrer ses émotions : dans la force.

Hé oui, le sexisme et le monde patriarcal ont des effets néfastes aussi sur les hommes. Si le sujet de la pression sociale sur les hommes vous intéresse, je vous invite à creuser le sujet avec le documentaire « The mask you live in ». On y parle de définition de la masculinité par la société (ici américaine, mais tout à fait transposable), de l’éducation que reçoivent les garçons et l’impact sur le développement personnel des hommes. Vraiment intéressant !

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François et les derniers rayons du soleil

Bon voyage et prends soin de toi

Ce « bon voyage et prends soin de toi », j’ai envie de vous l’envoyez à vous tou·te·s qui lisez cet article. Et de vous rappeler que la vie est un voyage. Que chaque journée compte. Et qu’il ne faut pas attendre de sortir de ses habitudes pour commencer à prendre soin de soi. Il est souvent trop tard.

Cela m’est déjà arrivé, et je suppose à plusieurs d’entre vous également, de « tenir bon », de résister aux pressions du monde extérieur, de donner toute mon énergie pour atteindre un objectif quitte à m’oublier… puis, quand vient le moment de souffler, après la période intense, de réaliser à quel point je suis fatiguée, voire épuisée. Il est trop tard alors, le corps lâche prise et c’est là souvent que la maladie s’invite par la porte que nous lui avons laissée grande ouverte.

N’attendons pas les voyages et les vacances pour prendre soin de soi. Cela peut se jouer à travers un petit rituel au quotidien, une attention à sa respiration tout au long de la journée, un moment libre de créativité que l’on se réserve comme un rendez-vous avec soi-même, une promenade en pleine nature chaque semaine… À vous de voir comment résonne en vous cette amulette « Prends soin de toi ». Et de ne pas l’oublier en chemin.

Je vous laisse avec cette citation (qui mériterait d’être réécrite aujourd’hui sans sexisme ordinaire) :

Quand chaque homme cherche le plus ce qui lui est utile à lui-même, alors les hommes sont le plus utiles les uns aux autres. (Baruch Spinoza)

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Prendre soin de soi, en voyage comme dans la vie

Dans un prochain article, je vous reparlerai plus en détail de la Yogiski Week des Menuires (qui m’a inspiré cet article), avec toutes les belles découvertes que nous y avons faites.

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3 réponses à “Bon voyage, et prends soin de toi !”

  1. Souvent quand j’entends cette phrase « prends soin de toi », j’entends « je m’inquiète un peu pour toi, sois aussi prudente que possible, prends soin de toi comme tu prendrais soin de ceux que tu aimes ». On peut trouver ça inutile mais je suis touchée quand quelqu’un me le dit sincèrement, et j’en tiens vraiment compte lorsque je suis face à des décisions ou des situations qui pourraient s’avérer dangeureuses. Je ne refuse pas de prendre quelques risques, mais lorsque je sens qu’ils ne sont pas raisonnables, je pense à toutes ces personnes qui seraient peinées qu’il m’arrive quelque chose

    • Merci Irène pour ton commentaire. Oui, c’est vrai que derrière cette formule, il y a de l’attention, du souci – et c’est donc touchant.
      J’aime beaucoup ta formulation de « prendre soin de soi comme tu prendrais soin de ceux que tu aimes ». ça rejoint un peu ce que je disais avec la bienveillance : c’est souvent (dans un premier temps) plus facile à mettre en pratique avec les autres qu’avec soi-même 🙂
      Finalement, cette formule te permet de te rappeler de ne pas dépasser certaines limites lorsque tu voyages : une façon peut-être d’intérioriser cette bienveillance en la puisant d’abord dans celle des autres à ton égard 🙂

  2. Lorsque j’ai dit « prends soin de toi » à mon fils quand il est parti vivre à l’autre bout du Monde, j’entendais par là plusieurs choses :
    – apprend à t’aimer comme je t’aime, d’un amour de bienveillance puisque je ne serai plus à tes côtés pour t’en abreuver
    – n’oublie pas, quoi qu’il arrive, de te respecter
    – n’oublie pas que tu n’es pas toujours responsable de ce qui t’arrive, mais tu es toujours responsable de ce que tu en fais
    – reste fidèle à toi-même, à tes valeurs, tes choix de vie, tes engagements
    Pour une mère, un enfant, même adulte, sera toujours « son » enfant, elle ressentira toujours comme un devoir de protection vis-à-vis de lui, et ce « prends soin de toi » est comme un talisman qu’elle confie à celui qui s’en va.

    Mais j’avoue, je dis aussi « prends soin de toi » à mon fils aîné qui n’habite qu’à 200km, et qui revient très régulièrement : pour lui, cela signifie « mange équilibré, ne stresse pas, fais toi plaisir, sois à l’écoute de ton corps puisque je ne suis pas à tes côtés pour veiller sur toi ». Je n’y pensais même pas avant qu’il ne tombe malade ; désormais, je ne le laisse plus jamais repartir sans lui dire la « phrase magique », ne serait-ce qu’en pensées.

    Ce « prends soin de toi » fait donc vraiment office de grigri que je donne à l’être aimé qui s’éloigne physiquement de moi, comme un lien d’amour invisible que je tisse…

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