Vivre le moment présent ? Cela semble si simple, et pourtant… C’est en voyage que j’ai pris conscience de cette dimension : le présent. Vivre, ressentir, être là ici et maintenant. Un apprentissage débuté sur les routes du monde…
Professeurs du voyage
Le voyage est une école. Une école où tous peuvent s’improviser tour à tour élève et professeur. Personne ne prétend tout savoir, et tout le monde a quelque chose à partager et transmettre. Parfois ces professeurs de la route sont des personnes rencontrées au hasard des chemins : des habitants de contrées lointaines ou des voyageurs provenant parfois de notre continent, pays ou région (il faut parfois aller si loin pour rencontrer son voisin !).
Et parfois, le professeur n’est personne d’autre que le moment. Le tableau qui s’offre à notre vue : le jeu de lumière, le paysage, la scène qui se déroule autour de nous et nous englobe. Vient alors ce sentiment profond de faire partie d’un tout, d’être ancré au sol, lié au ciel, relié aux hommes comme aux arbres. Et ce professeur, le moment, son plus grand enseignement, c’est de vivre l’instant présent.
La vrai générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. (Albert Camus)
Le dur exercice de l’instant présent
Dans notre vie quotidienne, nous sommes rarement au présent. Très souvent au pas de course, notre esprit entrevoit toujours ce qu’il va se passer « plus tard » : dans quelques secondes, 3 heures, 3 jours, 3 semaines ou 3 ans. Bientôt, plus tard, demain, après… ces mots jalonnent notre réalité quotidienne. Le mot « maintenant » n’a presque plus sa place. Nous vivons au futur.
Parfois notre course effrénée nous fatigue. Nous nous retranchons alors dans une position régressive, vers le passé. C’est le moment nostalgie : on déterre de vieux souvenirs, recherche des habitudes de jeunesse, ouvre un album photo et rêve à ce temps où c’était mieux… Avant.
Ne cherchez pas le passé, ne cherchez pas le futur; le passé est évanoui, le futur n’est pas encore advenu. Mais observez ici cet objet qui est maintenant. (Bouddha)
Cerveau, évolution et marche avant
Pourquoi cet élan vers l’avant, cette mise en mouvement permanente ? Se poser est devenu un luxe, voire un signe de faiblesse. Le droit à la paresse n’est qu’illusoire et ne sort du tiroir qu’au 7e jour, et encore, parce que tous les magasins sont fermés, sinon…
« Vite, vite, quelque chose à faire ! »
L’homme est un être occupé. Ne serait-ce pas cela, finalement, qui nous différentie des animaux, le propre de l’homme ? C’est assez intéressant de remarquer que les personnes ayant subi un traumatisme ont besoin de retrouver cet état d’occupation, cette routine ou tout s’enchaine comme des wagons chargés à bloc. Ne rien faire, c’est laisser la place au vide. Et le vide, c’est angoissant. On se met à penser, tourner en rond, dans sa tête ou dans son salon, sans savoir à quoi occuper ses neurones et ses dix doigts.
L’homme est maitre et esclave tout à la fois de son besoin d’activité et de son besoin de visualiser demain, des besoins qui ont leurs raisons d’exister sur le plan de l’évolution de l’espèce…
Vivre au présent et rêvasser
Lors d’une interview pour le journal Le Monde, où l’on m’interrogeait sur l’utilisation de technologies en voyage ou, à l’inverse, ce besoin de se couper de tout et d’oublier smartphone et internet, je faisais l’éloge de la rêverie. Celle qui arrive à l’improviste, parce qu’on ne faisait rien. Justement parce qu’on ne faisait rien : on lui a laissé de la place, on l’a invitée… Ne rien faire, rêver en regardant défiler les paysages derrière la vitre, c’est un premier pas pour se réapproprier ses pensées et son temps.
Rêver au présent, stimulé par les paysages défilant, pour après, dans son salon, pouvoir fermer les yeux, respirer à fond et attendre que la pensée s’anime à nouveau. L’imagination, la créativité, la conscience de ses sensations et émotions : cela s’entretient ! Ce ne sont pas des attributs dont nous sommes ou non pourvus à la naissance. Nous les avons tous en nous, à l’état de graine, et c’est à nous de les planter profondément en nous et de les faire grandir, de les exercer comme on entraine un muscle.
Les neurologues affirment que ce n’est pas naturel, pour l’Homme, d’être dans l’instant présent. Notre cortex préfrontal passe son temps à organiser les choses. Nous avons simultanément plusieurs informations traitées par notre cerveau. C’est assez naturel donc de ne pas vivre l’instant présent pour plonger dans ses pensées orientées vers l’après : « toujours un soucis d’avance ». Anticiper les problèmes, cela nous a permis de faire face à certains dangers, d’améliorer notre « futur présent »… mais la limite de cette dynamique, c’est d’en oublier le moment présent, même quand les dangers qui nous entourent ne justifient pas d’être tourné constamment vers le futur.
Vivre au présent en voyage ?
Prendre conscience de l’instant présent, cela demande un entrainement intensif ! Le voyage peut permettre ce déclic, cette prise de conscience de notre rapport au temps et au monde, et de la possibilité de stopper la course, prendre du temps pour réfléchir et méditer.
La contemplation de paysage peut être une première forme de méditation, et ces moments de bonheur où l’on se sent partie d’un tout, un premier contact avec la « pleine conscience ».
Réaliser que la seule chose qui existe réellement, c’est l’ici et maintenant. Arrêter de se projeter sans cesse dans l’avenir et de ressasser le passé : seul le présent est réel. Respirer à fond, regarder et sentir le monde qui nous entoure, plonger en soi à la recherche de ses ressentis, perceptions et émotions… et décoder le monde d’une nouvelle façon, moins cérébrale et plus entière. Apprendre à se (re) découvrir, à accueillir ses émotions, à se recentrer sur ses vrais besoins, à se faire confiance…
Tout cela, cela fait partie du « vivre l’instant présent » !
Certaines formes de voyage peuvent favoriser cette prise de conscience et cette pratique de méditation sur son rapport au temps et au monde, cette pleine conscience, comme les retraites (yoga, silence…). Je n’en ai encore jamais fait l’expérience, mais un jour peut-être… Tous ceux que je connais qui ont testé ce genre de voyage intérieur en parlent comme une des expériences les plus intenses de leur vie.
En nous établissant dans l’instant présent, nous pouvons voir toutes les beautés et les merveilles qui nous entourent. Nous pouvons être heureux simplement en étant conscients de ce qui est sous nos yeux. (Thich Nhat Hanh)
Comment vivre au présent au retour de voyage ?
Bien sûr, le voyage n’est pas une solution miracle : il faut se montrer ouvert et disponible pour que ces changements nous touchent. Et bien sûr, pour développer ce nouveau contact au monde et au temps, il faut pratiquer… même lorsque le voyage est terminé !
Cela demande une adaptation : comment continuer à la maison, dans mon quotidien, à pratiquer une attitude qui me venait spontanément en voyage ? Comment provoquer finalement ce qui venait tout seul ? Il n’y a pas une recette miracle.
Pour moi, les transports restent des endroits privilégiés pour ces moments de rêverie, qui ne sont pas tout à fait la même chose que la pleine conscience, mais qui, à mes yeux, permettent de travailler des aptitudes proches.
Une autre attitude à tester : se réserver un moment pour soi, à la fois fixe et fixé pour chaque jour (par exemple en se levant, en se couchant, en rentrant du boulot…) ou spontanément, avec le risque d’oublier les bonnes intentions et de ne plus se laisser le temps et l’espace pour pratiquer. Cela peut-être un moment pour pratiquer du yoga, des exercices de respiration et de la méditation… à vous de trouver une porte d’entrée qui vous correspond, quitte à la faire évoluer par la suite et à en tester plusieurs.
Et surtout, oubliez la culpabilité à vous occuper de vous ! S’occuper de soi devrait être notre première mission. En faisant cela, vous ne faites pas preuve d’égoïsme, mais de bon sens. À l’image de la consigne dans les avions, en cas de dépressurisation de la cabine, de d’abord enfiler son masque à oxygène avant d’aider ses voisins, il est important de prendre d’abord soin de soi avant de pouvoir aider les autres. Et si ce point ne vous convainc pas, pensez que le bonheur et le bienêtre sont contagieux, tout comme le malêtre, la colère… Les émotions se propagent et, avoir dans son entourage une personne bien dans ses baskets, posée et positive : cela fait du bien ! Alors, prenez du temps pour vous et soyez cette personne !
Ne vous demandez pas de quoi le monde a besoin. Demandez-vous ce qui vous éveille à la vie, puis faites-le. Car ce dont le monde a besoin, c’est d’êtres qui s’éveillent à la vie. (Howard Thurman)
La force de l’instant présent
L’instant présent ressenti en voyage m’a permis de guérir de certaines blessures, de faire le deuil de mon père, de comprendre un peu mieux qui je suis, quels sont mes besoins et mes aspirations. De comprendre également que le présent est riche et ne demande qu’à être vécu. Même en rentrant de voyage, où l’esprit oscille plus facilement entre la nostalgie pour le voyage passé et l’espoir pour le voyage futur… Vivre le présent, c’est faire l’exercice de se sentir bien ici et maintenant, de se sentir ancré, connecté, créatif… et pourquoi pas heureux ?
Le moment présent a un avantage sur tous les autres : il nous appartient. (Charles Caleb Colton)
Très bel article qui me fait écho. J’ai vraiment découvert cette notion de vivre le présent, et d’être heureux par la même occasion, lors de mon premier voyage. En voyage on ne pense qu’à ce que l’on fait le jour même au moment même, notre esprit est tellement occupé à apprécier chaque seconde de cette nouveauté qu’on est ancré dans ce présent. C’est plus compliqué à vivre dans une routine ou tout nous est déjà familier, mon petit truc c’est la rando. Quand je marche, je suis occupée à regarder ou je vais, les paysages… Il n’y a plus ni passé ni futur. Juste l’effort à considérer pour atteindre notre but.
Merci Sarah, ravie de savoir que mon article te parle 🙂
C’est tout à fait ça : le voyage apporte une superbe opportunité pour se plonger dans le présent, apprendre à vivre intensément et porter attention au moment qu’on est en train de vivre. Un des plus beaux apprentissages du voyage…
Bonne idée la rando pour réintroduire l’importance de l’instant présent dans ton quotidien : je suis plus que convaincue des vertus de la marche pour le bienêtre physique et mental, et même pour la relation de couple !
Magnifique de justesse, cet article !
Après une séance de Qi Gong, notre prof nous propose toujours un quart d’heure de méditation en pleine conscience : cela fait un bien fou !!
Un tout grand merci Marie-Paule, je suis très touchée par ce gentil message, d’autant plus venant de quelqu’un qui a de belles connaissances et de la pratique en pleine conscience 🙂
Très bel article!! Pour moi, Le présent c’est se donner la chance d’être heureux et de vivre chaque instant pleinement! Et avec le temps tout s’en va…
Merci Vaness pour ton commentaire et le compliment ☺️
J’aime beaucoup ta définition du présent ; le vivre pleinement, c’est tout un art ! Un exercice de chaque instant… 🙂
Un article merveilleux. En le lisant, des images me sont revenues en tête, des images de ces moments où je me suis sentie réellement vivante et ancrée. Et maintenant je me dis qu’il faut que je « travaille » sur moi pour pouvoir ressentir ça chaque jour, parce que c’est essentiel.
Merci !
Merci beaucoup Jessica ! 🙂 Se reconnecter à ces moments où l’on s’est senti si vivant, 100% au présent, c’est beau de pouvoir les garder en mémoire et s’y replonger de temps en temps, pour se rappeler le plaisir que cela procure… et chercher à revivre cet état même dans son quotidien.
Cela rejoint assez bien une autre notion que j’adore : la capacité d’émerveillement. Où que l’on soit, être capable de s’émerveiller : de la beauté du monde et/ou des personnes qui nous entourent, de la puissance de la nature… Ouvrir grand les yeux et ne pas perdre une miette du spectacle qui s’offre à nous tout en nous mettant dans une bonne disposition intérieure pour en profiter et se sentir connecté au monde et à soi 🙂
Superbe!
Saisir l’instant présent avec pleine conscience demande de la pratique et devrait faire partie de la vie, en voyage comme à la maison. Pour cela, il faut ralentir, prendre le temps de ressentir. Le voyage est décidément une belle porte d’entrée à cet exercice.
Pour notre part, nous avons fait des choix familiaux, professionnels et personnels en ce sens. Moi, c’est la marche en solitaire, mon petit moment (je me parle toute seule, c’est magnifique, mais ça fait un bien fou en plus de prendre le grand air – ça y est, tout le monde sait que je me parle seule maintenant).
Merci beaucoup Bianca ! 🙂
Je suis bien d’accord avec toi : cet exercice, ce temps réservé à la pleine conscience devrait faire partie de notre quotidien, que nous soyons en voyage où chez nous. Prendre le temps de prendre le temps… tout un art !
Je me parle beaucoup aussi – particulièrement en marchant, c’est vrai ! – (et je chante aussi !), mais généralement dans ma tête ; peut-être que je le ferai à voix haute si j’habitais en pleine nature et pas en pleine ville 😉
Très bel article qui fait écho à un article que nous avions rédigé à propos de voyage et la réappropriation du changement qu’il implique… alors que nos vie sont souvent régie par l’habitude et de statu quo. Le voyage nous rend meilleur, nous en sommes convaincus 🙂
Ravie de lire que d’autres voyageurs se retrouvent dans ces mots et ces pensées autour du voyage 🙂 J’adore échanger à ce sujet (la rubrique « Réflexion » du site devrait te plaire !). Oui, le voyage est un si beau moyen pour s’ouvrir aux autres, au monde, au temps, à la vie… et à nous-même 🙂