Nous voici arrivés au tout dernier carnet d’Antarctique. Alors que nous n’avons pas encore quitté les eaux polaires, cela sent déjà la fin… Rapide rappel : après avoir glissé entre les fiords de Patagonie chilienne, posé les pieds sur l’ile Horn et traversé le Passage de Drake, atteint les premières iles de l’Antarctique, navigué jusqu’en terre polaire… nous poursuivons notre navigation et amorçons le chemin du retour, avec le Passage de Drake qui se dresse devant nous comme premier obstacle au continent sud-américain.
On the Drake again
Samedi 18 novembre 2017
Ce matin, nous avons eu le plus merveilleux des commencements. Un début de journée et une fin géographique tout à la fois. Alors que nous nous apprêtions à descendre pour le petit-déjeuner, une voix claironne dans le hautparleur :
Baleines en vue !
Juste le temps d’enfiler les vestes et attraper l’appareil photo, et nous voilà sur le pont, à guetter à bâbord et à tribord. Plusieurs groupes semblent jouer avec la trajectoire de notre navire. Le soleil brille et la mer scintille. Le vent s’est calmé depuis hier soir. Le ciel est bleu et les oiseaux dansent autour de nous et des jets qu’envoient les baleines. Meilleur début de journée au monde !
À travers l’eau, on voit clairement le ventre blanc de ces mammifères géants ainsi que leur tête juste avant qu’elles n’émergent pour prendre une bouffée d’air frais. Elles bougent tranquillement, posément. Comme si rien au monde ne comptait plus que ce moment présent, cette respiration puis la suivante. Elles avancent à deux, côte à côte au point qu’il est parfois difficile de deviner où finit la première et où commence la seconde.
Et alors qu’elles commencent toutes deux à faire mine de s’éloigner, l’une des baleines se retourne sur son dos, exposant le blanc de son ventre, et soulève une nageoire. Comme pour nous saluer et nous dire au revoir. La seconde d’après, la première plonge, dévoilant élégamment sa queue, comme une femme agite son mouchoir au départ d’un navire dans les films en noir et blanc, suivie de la deuxième qui l’imite. Nous apprenons au même moment que nous quittons définitivement les eaux antarctiques. Jamais je n’aurai pu imaginer plus belle façon de clore ce chapitre du voyage.
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Le Drake s’offre à nous et nous fait les yeux doux. C’est le calme avant la tempête. Nous naviguons avec des vents favorables, en zone verte, le vent nous poussant gentiment vers le nord et le continent. Les passagers savent que cette trêve n’est que de courte durée : une zone mauve de turbulences étant prévue pour plus tard. Cela n’empêche pas le Midnatsol de rouler et tanguer joyeusement, d’un mouvement lent et long, agrémenté de quelques rebonds à l’occasion… pour notre plus grand plaisir ! Car à chacun de ces rebonds, la proue s’élève pour venir s’écraser sur les vagues, créant un joli « splash », comme nous nous plaisons à l’appeler dans notre jargon technique. Et ces splashs envoient des germes d’eaux bleu clair et pleines d’écume blanche voler tout autour de la coque du navire. C’est un spectacle riche en adrénaline, un peu comme une montagne russe qui dévalerait le plus beau des paysages sauvages. Nous sommes restés hier soir une demi-heure en l’attente d’un splash, qui n’a jamais voulu se montrer. Ce matin, ils semblent apparaitre de façon aléatoire, comme les boules d’une loterie animée par Poseidon.
Revoilà donc le Drake, ce nom aux airs de pirates sortis des contes et légendes pour effrayer les enfants avant de dormir… On dit que les marins arrivés en Antarctique après le passage de Drake gardent dans leurs épaules une tension permanente qui ne les quittera que lorsqu’ils auront retraversé le fameux passage. Le savoir derrière tout autant que devant eux les emplit d’anxiété, l’imagination se mêlant à l’anticipation.
This, then, was the Drake Passage, the most dreaded bit of ocean on the globe – and rightly so. Here nature has been given a proving ground on which to demonstrate what she can do if left alone. (Alfred Lansing, Endurance : Shackleton’s Incredible Voyage)
(C’était donc le passage de Drake, l’océan le plus redouté du globe – et à juste titre. Ici, la nature a reçu un terrain d’essai sur lequel démontrer ce qu’elle peut faire si elle est laissée seule.)
Alors que c’est la deuxième fois que nous naviguons dans ces eaux, point de rencontre des océans Pacifique et Atlantique, je ne parviens pas plus à réaliser l’insolite de la situation. L’incroyable point rouge sur la carte continue de me murmurer : si si, c’est pour du vrai ! Mais il m’est tout aussi impossible de le prendre au sérieux… Le bleu emplit mes yeux et le paysage dans toutes les directions. Partout, bleu. Mais nous ne sommes jamais seuls, les oiseaux accompagnent notre traversée, comme une escorte nous assurant un passage en toute sécurité.
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Retour au bout du monde
Dimanche 19 novembre 2017
Chaque bout de terre, des continents jusqu’aux gros cailloux flottant en pleine mer, doit être nommé. Voir défiler les noms de la Patagonie à l’Antarctique, que ce soit ceux des iles, détroits, cap, péninsules ou canaux, nous transporte à une autre époque, dans l’histoire des premiers aventuriers et de leurs états d’âme, de leurs espoirs et de leurs mésaventures. Une bibliothèque que le vent aurait dispersée et mélangée dans un joyeux désordre.
Certains noms rappellent des régions de l’autre bout du monde, par fierté ou nostalgie. Ile Anvers, Ile Londres… Parfois des écrivains, comme Hugo et Verne, se voient immortalisés sur un bout de terre gelée. Les personnages de romans ne sont pas en reste, comme en témoigne la colline Gulliver ou le glacier Pequod, du nom du célèbre bateau de Moby Dick. Beaucoup ont trait aux conditions météorologiques, comme le cap Beau-Temps, ou au contexte vécu par les premiers marins, avec la Baie de l’Exaspération, le cap du Désappointement ou l’ile de la Déception et celle de la Désolation. Et d’autres noms finissent par supplanter leur origine, inspirant crainte ou envie à leur seule évocation. Comme Drake et Horne.
Et ce matin, le gros caillou qui accompagne notre réveil n’est pas le cap Horn mais Isla Evout. Une ile presque anonyme à la place du cap mythique. Après une nuit des plus agitée, où l’entièreté de notre chambre semble avoir roulé trois fois autour de nous, nous avons atteint le Cap Horn à l’aube, si tant est qu’il y en ait eu une. Cette ile que tout marin rêve d’atteindre, que ce soit pour la laisser lors d’un passage du Nord au Sud ou d’Est en Ouest. Et nous, nous dormions. Star de toutes les traversées du Passage de Drake, il n’a eu pour seuls spectateurs l’équipe du commandant au poste de pilotage. Ce réveil me laisse une drôle d’impression, comme si j’avais manqué une étape importante de ce voyage. Comme si j’avais manqué de respect à ce cap que tous craignent et admirent. Nous n’avons pas eu l’occasion de saluer le grand albatros qui trône à son sommet… Mais comme pour réparer cet affront, un majestueux albatros passe juste devant ma fenêtre et emporte avec lui mes pensées nostalgiques.
Toute la nuit, les rideaux ont flotté au-dessus de ma couchette au rythme de la houle, laissant passer allègrement la lumière éternelle. Un clair-obscur où il ne fait ni jour ni nuit. De quoi perturber notre système interne qui décide qu’à une heure du matin, il doit en faire au moins déjà huit : grand temps de se lever et commencer sa journée ! Ballotée sur ma couchette, j’entends des objets glisser, griffer, cogner, dans une symphonie de bruits sourds. À chaque grand bruit, nous nous réveillons, cherchons la source et sécurisons le matériel en péril, pour retourner nous coucher jusqu’à la prochaine grande vague. Bref, cette fois-ci, le Passage de Drake nous aura fait une petite démonstration de sa force. Ce n’est plus cette mer imprévisible ornée de glace et pas encore ces eaux tranquilles protégées par les fiords : non, ici, c’est plus de 1000 kilomètres de mer indomptée et indomptable.
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Ce matin, maintenant que le Drake est dernier nous, le ciel est gris et lourd. L’horizon se dessine où le gris et le bleu se rencontrent. Le bateau roule gentiment sur les vagues qui, bien que moins impressionnantes qu’hier soir, ont des arrêtes pointues et sont coiffées d’une écume blanche. Sous la coque, nous sentons la mer gronder, comme un tonnerre qui viendrait des profondeurs de l’océan, donnant une texture granuleuse à notre progression. Si la température de l’eau s’est nettement réchauffée, certaines vagues atteignent encore 10 à 15 mètres de hauteur. Le vent siffle au point de l’entendre se faufiler dans les longs couloirs, comme un passager fantôme venant hanter notre grand navire. Les éléments semblent vouloir nous passer un message : vous n’en avez pas encore fini avec la nature sauvage… Et c’est tant mieux !
Sur la carte visible sur la télévision de chaque cabine, nous regardons notre petit bateau sur le point d’atteindre les fiords chiliens. Cet après-midi, nous serons à nouveau à Puerto Williams, arrêt obligatoire pour tout navire qui pénètre dans les eaux chiliennes… Même si, selon les Chiliens, nous ne les avons jamais quittées.
Voir ces bouts ces montagnes flottantes tout autour de nous me réjouis tout autant qu’elles me rendent nostalgique du continent blanc. Enfin, d’autres couleurs pointent le bout de leur nez. Le paysage n’est plus blanc, bleu et noir, avec nuances de gris en option. Il commence à s’orner de brun, de jaune et de vert. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point les couleurs m’avaient manqué ! Et plus encore, la sensation que la vie grouille, prolifère et prospère à travers des fougères tropicales, des arbres centenaires et des hordes de mammifères.
L’infini bleu cède de plus en plus de terrain, entrecoupé d’iles et ilots. C’est étrange de retrouver des repères à fixer là où avant il n’y avait que le vide. Les oiseaux sont toujours à nos côtés, même si notre escorte a changé depuis notre départ de l’Antarctique. Moins de labbes antarctiques, plus d’albatros, pour le plaisir de François qui continue à se précipiter dès qu’il en voit passer un par le hublot, que ce soit celui de notre chambre ou du restaurant. J’ai l’impression d’être mariée à Speedy Gonzales, courant toujours de gauche à droite, mais revenant inlassablement, le sourire aux lèvres, le nez rouge, les mains gelées et de nouvelles photos à me montrer.
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Le temps file le long de notre coque. Port Williams dépassé, c’est bientôt Ushuaia qui s’offre à notre vue. Enfin, nous la voyons, Ushuaia ! Ce si joli nom, aux consonances de terres lointaines et d’aventures, rendu célèbre par Nicolas Hulot. François, qui adorait répondre par le nom de cet aventurier du petit écran à ceux qui le questionnaient sur ses ambitions professionnelles alors qu’il était jeune, a les yeux qui s’illuminent. Nos têtes l’une à côté de l’autre tout près de la vitre, nous scrutons le paysage.
J’avais gardé un certain regret de ne pas avoir aperçu cette ville mythique lors de notre passage à l’aller. Un sentiment du même ordre que celui qui m’habitait ce matin en apprenant que le cap Horn était derrière nous. Cette ville que j’ai longtemps considérée comme le bout du monde est là, visible sur notre tribord. Quelle étrange impression de passer au sud de la ville considérée comme la plus au sud du continent (sauf par les Chiliens, bien sûr) !
Perdue dans une épaisse brume, nous devinons le toit des maisons, bien plus nombreuses que je ne me l’étais imaginé, et, surtout les montagnes tout autour. Elles semblent si grandes, comme des géants prêts à écraser cette ville de fourmi. Une belle ligne blanche délimite les cimes enneigées du pied des montagnes. L’envie d’explorer la Terre de Feu ne fait que croitre en nous alors que nous admirons ce décor. La nature dans ses proportions grandioses appelle nos jambes, restées passives ces derniers jours de traversée.
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Sur le bateau, ça sent la clôture : dernier cours théorique de photo, rassemblement sur le pont supérieur pour une photo de groupe, récupération de nos passeports (joliment ornés de cachets surprise du Cap Horn !) et paperasseries… Alors qu’il nous reste encore demain une journée entière de navigation, tout le monde se comporte comme si la croisière finissait dans quelques heures. Là où l’agitation et l’agacement pointaient parmi les passagers en quittant l’Antarctique, c’est maintenant davantage une forme de nostalgie et de chapitre à clore qui les habite. On pense à l’après-Antarctique. Quand on sera revenu chez soi, qu’on retrouvera sa demeure, ses habitudes, ses occupations, sa vue depuis sa chambre ou son bureau… Les rues et transports bondés ne semblent avoir manqué à personne. Comment s’imaginer se retrouver dans des décors si petits après des paysages grandioses sans se sentir à l’étroit ? Même le moins claustrophobe des voyageurs est en droit de se poser cette question.
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La voix du capitaine claironne dans les hautparleurs : cette nuit, vers une ou deux heures du matin, le bateau quittera les fiords pour passer par la mer ouverte avant de retourner se faufiler à l’abri des iles. Cela promet de secouer très fort, vu que la météo en haute mer est toujours très agitée pour cette zone : attention à vos affaires, nous met-il finalement en garde. Vu qu’il n’avait fait aucune annonce de ce genre lors du Passage de Drake, qu’est-ce que ça va être cette nuit ? François, amoureux des tempêtes en bateau, décide de tout préparer, matériel et équipement, pour se lever cette nuit et admirer la force des vagues depuis le pont 6. Je lui fais promettre, avant de s’endormir, qu’il gardera toujours « une main pour le bateau », comme disent les marins, et ne prendra pas de risque. Ça serait trop bête qu’il tombe si près du but, après avoir résisté au Horn, au Drake et au continent blanc !
Fiords chiliens, joyaux de Patagonie
Lundi 20 novembre 2017
Nous avons quitté le continent de glace pour la région de l’hiver éternel : la Patagonie. En ce début d’été de l’autre côté de l’hémisphère, les sommets sont toujours blancs et semblent le rester pour toujours. Alors que nous nous éveillons dans les fiords chiliens, dans le canal Gabriel, nous nous disons dans un soupir de contemplation :
Mais que c’est beau la Patagonie !
Sans aucun doute une des régions au monde que nous trouvons la plus belle. Nous voyons défiler les paysages et, comme hier devant le spectacle d’Ushuaia, notre petit coeur bat de plaisir en sachant que nous retrouverons ces terres lointaines un jour, lorsque nous vivrons notre projet à travers les Amériques.
Nous déjeunons à la même table qu’une Allemande, qui nous dit à quel point elle a aimé l’Antarctique et à quel point, tous ces paysages qui nous entourent à présent l’indifférent voire lui déplaisent. Autant je comprends l’enthousiasme pour le continent blanc, autant la dépréciation par comparaison me semble démesurée et inappropriée. J’aime la glace, les iles, la faune antarctique… et j’aime également les montagnes aux cimes blanchies de Patagonie. Sur le ton de l’humour, nous précision qu’en venant de Belgique, tous les paysages de montagnes sont magnifiques pour nous.
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La conférence de ce matin m’intéresse beaucoup et je décide d’y assister, malgré la migraine qui gagne du terrain, les éternuements tonitruants et les mouchoirs qui deviennent mes plus fidèles compagnons (souvenir d’Antarctique !). Ce matin, John Chardine, l’ornithologue québécois, nous parle de changement et réchauffement climatique. Il l’a d’abord étudié via sa branche de prédilection, les oiseaux marins, et en est venu ensuite à se pencher plus intensément sur ce sujet tout aussi épineux que passionnant. Il nous parle de modèles et de schémas. D’évolution cyclique du climat, en fonction de l’axe de rotation de la Terre, du mouvement des pôles, de circonvolution de la Terre autour du Soleil… Puis, après avoir avancé tous ces arguments en faveur d’une évolution naturelle du climat, attaque le gros du morceau : l’évolution depuis la révolution industrielle. Une évolution anormale, faite d’un trop plein de CO2 dans l’atmosphère, d’un cercle vicieux positif, créant sans cesse plus de fonte de glace et plus de chaleur, de l’évolution des deux pôles depuis l’an 2000.
Le Pôle Nord et le Groenland sont en danger immédiat, là où l’Antarctique a encore un peu de répit devant elle, sa force d’inertie et sa résistance au changement, sa force donc, venant justement de sa réserve de glace et sa faible température. Je ne peux m’empêcher de penser que dès que la glace aura sérieusement commencé à fondre, le même cercle vicieux qui sévit au pôle Nord entrera en action ici aussi. Avec comme facteur aggravant les courants chauds, qui ont déjà commencé à grignoter la glace du continent par dessous, là où notre regard ne peut évaluer la gravité de la situation. Or on sait à quel point l’Homme aime ne pas porter attention aux problèmes trop graves et jugés insolubles, d’autant plus s’ils ne sont pas clairement visibles. Une zone de l’Antarctique, pourtant, est déjà considérée comme en zone rouge, et donc de réchauffement et danger actuel.
Comme facteurs importants du réchauffement climatique, John parle du CO2 et de son origine, à la fois naturelle, via les plantes, les êtres vivants, les volcans… et dues à l’Homme, avec les transports, l’exploitation des énergies fossiles, la surpopulation et, non le moindre des facteurs, la consommation grandissante de viande. Ses paroles me rappellent le très bon documentaire Cowspiracy.
John parle du réchauffement climatique comme d’un train qui nous foncerait droit dessus. Tout ce que nous pouvons faire, c’est changer nos comportements afin de diminuer sa vitesse, mais nous ne pouvons pas l’arrêter ni le supprimer ou lui faire faire marche arrière. Et même si nous diminuons sa vitesse, il continuera à nous foncer droit dessus. Nous serons obligés, à un moment ou à un autre, avec anticipation ou à la dernière minute, de quitter les voies afin d’éviter de le prendre de plein fouet. Nous devrons, quoi qu’il en soit, nous adapter aux nouvelles conditions de vie qu’il va nous apporter.
Ce n’est pas le plus fort de l’espèce qui survit ni le plus intelligent. C’est celui qui sait le mieux s’adapter au changement.
(Fun fact : citation attribuée à tort à Darwin ; ce serait une paraphrase par Darwin tirée des écrits de Leon C. Megginson, un sociologue de gestion à la Louisiana State University).
Malheureusement, nous savons à quel point l’Homme est résistant au changement…
À la fin de la conférence, je reste avec quelques autres afin de poursuivre la discussion et poser mes questions. Les personnes avant moi déplorent le manque de pistes soulevées durant cet exposé : et maintenant, que faire ? Être sensibilisé et informé, c’est bien. Savoir comment agir, c’est encore mieux. Les uns parlent des programmes, liés aux compagnies aériennes ou indépendantes, qui permettent, en versant une certaine somme d’argent, de composer les émissions carbones liées à son voyage. Une sorte de taxe écologique volontaire. Ou l’achat d’un droit de polluer pour les plus riches. D’autres demandent ce qu’ils peuvent faire dans leur quotidien. John soulève la différence, dans l’empreinte écologique, entre les zones occidentales : pourquoi les Américains pèsent-ils en moyenne le double que les Européens sur la balance du CO2 ? John s’excuse de ne pas avoir pu en dire plus, en une conférence. Il parle d’une croisière au Groenland, où toutes les conférences se centrent sur le changement climatique, avec des intervenants de différentes spécialités. Voilà qui me plairait beaucoup !
Viens mon tour de lui poser mes questions. Tout d’abord, pourquoi la péninsule Antarctique est-elle autant touchée, et pourquoi est-ce la seule zone antarctique à l’être ? Cela est dû à plusieurs facteurs. Sa latitude, beaucoup plus au nord que le reste du continent. Sa structure, toute en finesse et en longueur, lui offrant moins de résistance que le bloc continent. Et enfin des courants marins qui la frappent et la rongent avec d’autant de force que sa latitude est plus au nord et que sa bande de terre est plus mince.
Ensuite, la question épineuse : que pense-t-il des croisières en Antarctique, sur le plan de l’écologie et du réchauffement climatique ? Bien sûr, ce n’est pas idéal de voyager aussi loin : les avions pour y arriver sont, la plupart du temps depuis l’hémisphère nord, polluent beaucoup. Mais comme tout voyage lointain. Pour lui, c’est la distance parcourue qui pèse dans la balance, pas la destination. Il ajoute que les bateaux de croisière Hurtigruten, en plus de respecter les règles de l’IAATO (International Association of Antarctica Tour Operators), ont pour consigne de naviguer le plus écologiquement possible (ce qui s’avère être aussi le plus économiquement possible). La société a lancé la construction d’un navire hybride, qui devrait consommer 10% d’énergie de moins. Des petits pas, limités en partie par les technologies actuelles, mais des pas dans la bonne direction quand même.
Tout cela est riche en informations et porteur de réflexions.
(Note aux lecteurs au retour : vous êtes plusieurs à être intéressés par la question de l’environnement, je pense dédier un article spécifique à cette question, et/ou l’aborder dans l’article général d’informations pratiques où je répondrai à toutes vos questions. À suivre dans un prochain article donc !)
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Depuis quelques jours, le froid me joue des tours, bloquant les sons dans ma gorge et rougissant mon nez. Aujourd’hui, je pense que c’est lui qui prend le dessus. Tu gagnes peut-être la bataille, mais pas la guerre ! Sans doute trop de vent, de froid, mais aussi trop de beauté, d’infini et de blanc étincelant. Mon corps est en surdose de grandiose et d’extrême. Il me faut une pause. Je capitule donc, décide d’être raisonnable et rester au chaud. Allongée sur mon lit, un thé chaud pour seule compagnie, je me suis préparé un programme de découverte spécial couette : documentaires, films et dessins-animés spécial terres polaires que j’avais enregistrés avant mon départ, juste au cas où les nuits en mer se feraient longues.
Alors que François part en excursion sur un Zodiac, je regarde L’Empereur, des images sublimes, et Tout en haut du monde, un dessin animé que j’ai beaucoup aimé, avec une héroïne forte partie retrouver son grand-père au toit du monde, le Pôle Nord.
François me revient le sourire aux lèvres et l’appareil photo plein de manchots de Patagonie et de cormorans. Comme un gout de nostalgie, me ramenant à notre dernière année sabbatique et notre séjour avec les enfants de Puerto Deseado.
La journée se termine en douceur, à l’image des lumières dorant le sommet des montagnes enneigées qui nous entourent, alors que nous célébrons notre dernier repas au milieu des fiords chiliens. Demain, dernier arrêt : Punta Arenas.
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Terminus, Punta Arenas
Mardi 21 novembre 2017
Elle est là à notre réveil, nous attendant patiemment de l’autre côté de notre hublot. Punta Arenas. J’ai l’impression que c’était dans une autre vie que je la regardais, comme maintenant, depuis ma chambre. Une vie où je n’étais pas encore allée en Antarctique. Il y a fort longtemps… Et pourtant, c’était il y a deux semaines. Depuis le quai où nous sommes amarrés, la ville me semble plus petite ; mais toujours aussi colorée. L’emploi du temps pour aujourd’hui est simple : déjeuner, libérer la cabine et attendre le bus qui nous ramènera à l’aéroport. Je n’aime pas ce genre de simplicité. Je préfère des horaires chargés d’expéditions, de conférences, de découvertes, d’aventures sur les pas des premiers explorateurs, de paysages grandioses… Mais ça, c’était avant. Maintenant, nous devons clore ce chapitre antarctique : terminée, l’aventure en terre polaire.
Dans quelques jours, nous reprendrons l’avion de Santiago vers notre plat pays. Que mon pays me semble loin. Je serai heureuse d’y rentrer, surtout que j’ai des amis qui m’attendent avec une surprise que j’ai hâte de rencontrer… Mais j’ai l’impression qu’un bout de mon âme va rester à bord, prêt à repartir pour une nouvelle épopée vers le pôle Sud. Je ne me sens pas morcelée pour autant, et savoir qu’un bout de moi se trouve au Japon, aux Galapagos, à Cuzco, en Sicile, en Irlande du Nord, au Québec… me rend plus complète, en un certain sens. Cela me permet d’intégrer au sein de la même personne et de la même histoire tous ces chapitres qui, à eux seuls, m’ont l’air de conte de fées.
Je pensais avoir déjà fait mes adieux à l’Antarctique le jour où nous franchissions la barrière de ses eaux et le passage de Drake, alors que deux baleines nous faisaient leur ultime salut du Grand Sud… mais j’ai l’impression que c’est aujourd’hui que cela se joue. Un au revoir au bout du monde, au continent blanc, aux manchots, aux baleines, aux oiseaux polaires, aux neiges éternelles, aux icebergs… Un au revoir aussi au Midnatsol. Je n’avais jamais compris, jusqu’ici, la fascination qu’ont certaines personnes pour les bateaux de croisière. Cette frénésie à les connaitre dans leurs moindres détails, suivre leur évolution sur le globe, collectionner leurs expériences sur la flotte entière… Mais à présent, après deux semaines à bord, je pense que je comprends davantage. Midnatsol m’a permis, depuis son pont, d’admirer la lumière changer sur fond de paysages infinis. Elle m’a réconfortée après une sortie en Zodiac glaciale. Elle m’a bercée de longues nuits agitées par la houle. Elle a été ma maison.
Au revoir donc Antarctique. Au revoir fiords de Patagonie. Au revoir Midnatsol.
Je relis les premières lignes de ce carnet de bord, mon premier réveil à bord du navire. Et la question que je me posais alors :
Est-ce qu’à un moment de ce voyage je vais finir par y croire ?
Non, la réponse est non. Chaque jour, je l’ai vécu comme une chance incroyable, priant pour qu’une nuit de sommeil ne vienne pas interrompre le doux rêve dans lequel je m’enfonçais à mesure que notre navire progressait dans le Grand Sud. Car tout ceci est un rêve, un doux rêve. Un rêve le temps d’une nuit passée à quai à Punta Arenas. Un rêve de manchots papou à la démarche chaloupée. D’albatros majestueux tournoyant autour de nous. De vagues gelées dérivant à nos côtés. D’icebergs au bleu si pur qu’ils semblent venir d’un autre monde. De sommets blancs émergeant de la brume comme s’ils ne touchaient pas le sol et lévitaient au-dessus d’une mer glaciale… Oui, tout ceci est forcément un rêve : comment un lieu pareil pourrait-il réellement exister ? Seuls témoins contradictoires à ce débat intérieur, les photos enregistrées sur mon ordinateur viennent me murmurer par les yeux : et si c’était vrai ?
Adieu le Grand Sud
Je referme ce dernier carnet d’Antarctique avec la même nostalgie heureuse qui m’a habitée lorsque j’ai quitté le bateau. Une belle aventure qui est à présent derrière nous, mais restera toujours profondément vivante dans nos coeurs et dans nos têtes ! J’espère que ce journal de bord vous aura plu, merci d’avoir été si nombreux à m’envoyer de gentils messages tout le long de leur publication !
Je parlerai encore de l’Antarctique, avec plus de recul et plus informations pour répondre à vos questions… mais plus tard ! Je dois encore digérer ce voyage… Et puis, nous repartons tout bientôt pour une croisière qui promet d’être très différente : nous passons les fêtes de fin d’année en Polynésie Française !
Mise à jour aout 2018
Nous avons sorti notre premier film « Une autre vie », qui comporte de très belles images de la Patagonie et de l’Antarctique (à partir de 6 min 45 s) et que nous vous proposons de découvrir ci-dessous.
- Carnets d’Antarctique :
- D’autres articles en Patagonie :
- Voyager dans le froid… et survivre (spécial frileux)
Merci Amandine et François de m’avoir fait voyager au travers de ce journal. Vous lire, c’est comme prendre un bon bouquin avec une tasse de thé, c’est très plaisant et toujours trop court ! Mes meilleurs vœux pour la nouvelle année !
Oh, merci pour ce gentil message, ça me fait super plaisir ! 😊❤️
Meilleurs voeux à toi aussi et le bonjour depuis la Polynésie (changement radical de cadre ! 😉 )
Merci pour ces carnets, ils sont passionnants! Vous lire est un vrai plaisir! Quel matériel photo avez vous utilisé lors du voyage ?
Bonjour Nastya, merci pour ton gentil message. Nous utilisons des boîtiers micro 4/3 tel que l’OMD EM5 Mark II (test dispo sur le blog) et un Panasonic GX8. Nous avions également plein d’objectif dont un spécialement acheté pour l’occasion, un 100-400mm de chez Panasonic en collaboration avec Leica.
Merci pour ce superbe article que j’ai eu plaisir à lire Amandine. Combien vous a coûté cette croisière et avec quelle compagnie l’avez-vous réalisé ? Merci d’avance pour ces renseignements.
Bonjour Caroline,
nous avions réussi à avoir un prix de base pour la cabine de 3750 euros par personne, hors vols et excursions supplémentaires, avec la compagnie Hurtigruten.