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Un sac sur le dos Un sac sur le dos
Amandine

« La seule valeur absolue en ce monde est le temps que l’on donne aux autres. » (Alexandre Poussin)

Je lis cette phrase et je pense à toi. J’aimerais tellement que tu sois là, à mes côtés. Alors je t’imagine, flottant de l’autre côté de la vitre, le regard vif et le visage rayonnant…

Je te vois, en regardant défiler les paysages de Patagonie. Sept ans, c’est long. Trop long. Tu devrais venir me rendre visite plus souvent.

Je sais que tu n’es pas inquiet. Tu m’as toujours fait confiance. Sauter les marches des escaliers, me percher dans les hauteurs, grimper aux arbres… Tu me regardais faire avec sérénité. Si je l’avais décidé, c’est que j’en étais capable. La plus belle preuve de confiance.

C’est drôle, le voyage. Étrange de voir que c’est à des milliers de kilomètres que j’arrive enfin à penser à toi. Réellement à toi. Pas à ta maladie. Pas à ces deniers mois et à cet être trop maigre et trop absent, absorbé par la douleur et rongé par la fatigue. Non, toi. Juste toi. Ton visage rayonnant. Tes yeux bleus, tantôt sages, tantôt amusés. Et toujours cette douce intelligence.

J’ai beaucoup pleuré, tu sais. Et beaucoup voyagé aussi.

Mais le temps n’apaise pas ces douleurs, et la distance ne les atténue en rien. Je ne pouvais me cacher nulle part. Tu étais partout. Je t’emmenais en voyage. Maigre, émacié, malade. Et je pleurais, encore.

Puis un jour, au détour d’un nuage, était-ce en Bolivie, j’ai pensé à toi et j’ai souri. Quel sentiment étrange que de penser à toi. Vraiment toi. Pas l’autre malade. Quel plaisir de te retrouver ! Petit à petit, le malade parti, chassé par mon héros plein de vie et d’esprit.

Toi qui accrochais des cartes du monde à tous les murs de la maison et me parlais de ton enfance loin, loin en Afrique, tu m’as partagé ton amour du monde. Istanbul. Le désert du Sahara. Le lac Kivu. La route 66. Celle de la Soie. Tout était excuse pour parler de voyage, d’Ailleurs : la musique, les contes, les gros mots du monde entier…

Tu m’as partagé ton goût du monde… et des gens. Dans ton regard tous les hommes sont bons. Ou presque. Car il existe toujours quelques exceptions qui confirment la règle. L’injustice me rebute tout autant qu’elle te soulevait le cœur. Et j’aimerais pouvoir aimer les gens autant que toi. Croire en l’homme bon. Alors je voyage.

Je voyage pour découvrir ces paysages, ces musiques, ces sons et ces couleurs dont tu m’as parlé. Et je voyage pour rencontrer ces hommes. Ces hommes bons et honnêtes. Ceux qui n’ont rien et te donnent tout. Ceux qui te sourient sans arrière-pensée. Ceux qui inventent et qui créent, avec deux bouts de ficelle, le plus beau des jouets. Ceux qui n’ont pas de montre et n’ont que le temps.

Car finalement c’est cela, papa. Le temps. C’est cela que tu voulais nous enseigner. C’est cela que tu regrettais de ton vivant. Et c’est cela qui nous a manqué. Du temps.

 « La seule valeur absolue en ce monde est le temps que l’on donne aux autres. »

J’aurais aimé que tu m’en donnes un peu plus, papa. Mais je ne t’en veux plus. J’ai appris, maintenant. En voyageant. En écoutant ces paysans des Andes et ces marins du bout du monde. Une personne est présente dès que l’on pense à elle. Et te voilà, me souriant toujours à travers la vitre.

Tu verras, papa, après la Patagonie, j’ai encore beaucoup à te montrer. J’espère que la suite du voyage te plaira…

Patagonie, Chili, Argentine, Amérique
Sur les routes de Patagonie

Si vous ne connaissez pas Alexandre Poussin, allez le découvrir dans cet article : 3 livres pour changer sa conception du voyage.

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58 réponses à “En regardant défiler les paysages de Patagonie…”

    • Merci beaucoup Marie-Julie ! C’est sûrement l’article le plus personnel que j’ai écrit… Un texte qui m’est venu « tout seul » il y maintenant presque un an, et que j’ai mis du temps avant d’oser le publier sur le blog…

    • Merci Camille ☺️ Oui, le temps file souvent sans que l’on puisse toujours en prendre conscience… Ou l’estimer à sa juste valeur.

      Un billet qu’un membre cher de ma famille m’a encouragé à publier, car il pourrait parler à d’autres voyageurs, résonner avec leur propre vécu… Touchée de savoir que ce soit le cas ici.

      • Bonjour, Amandine,

        Je viens de lire à l’instant le billet que Tu as écrit sur Ton père.
        Remercie de la part d’un illustre inconnu la « Personne »
        Qui, t’as poussée à le faire, sachant que cela te trottait dans la tête.
        Dans tes nombreux écrits, j’ai toujours ressenti……
        cet Amour puissant de Ton Papa……en Toi et dans Ton sac à dos.
        Tu parlais de « Tout » de façon Incroyable, émerveillée , en mémoire à Ton Père.
        Tu as Voyagé, Libre, « Blessée », Pour Lui et avec Lui, au milieu de tous ces
        espaces grandioses traversés, Seule façon à Toi, de lui dire « Papa » je suis là !
        Tu as pu pleurer pudiquement toutes les larmes de Ton Corps, sans même un endroit pour t’isoler davantage ou totalement.
        Amandine, Quel bel Hommage à Ton Père !

        Maintenant, Manoa est là 🙂

        Amicalement à Vous deux et Bises à Manoa

        Ps : Très touché par Ton message.

  1. Bravo !!! Je me reconnais un peu dans ce texte… Mon père était malade, aussi, depuis il nous a quittés, et m’a laissée de très bonnes pensées ! Il me racontait ses souvenirs de voyage, d’aventure. Maintenant, c’est moi qui suis sur la route (dès que je peux) et je le vois, aussi, par la fenêtre… Merci de mettre des mots là où je ne peux pas encore 😉

    • Merci Sabrina pour ton partage d’expérience. Je te souhaite une très belle route, avec toutes les émotions que cela peut impliquer. Bon voyage à toi ! 🙂

  2. Je ne commente que rarement mais là j’étais obligée. J’étais partie pour écrire quelque chose de long mais je n’arrive même pas à organiser mes idées. C’est juste tellement beau et exactement ce que j’ai pu ressentir, souvent, en regardant défiler les paysages d’Amérique il y a de cela un an.

      • Du fond du coeur. Tu as bien fait de partager ton histoire.
        C’est étonnant c’est vrai.
        Je pense que c’est parce que après tout « happiness is only real when shared » et que quand c’est malheureusement trop tard alors nous avons tendance à regretter d’avoir manqué de temps. Mais on n’a manqué de rien en fin de compte. Puisque ces moments, on les partage peut être même avec plus d’intensité encore, notre être cher étant présent à chaque instant.. Je suis sure que ton papa a adoré ces paysages de Patagonie…

  3. De belles pensées magnifiquement retranscrites… En te souhaitant de continuer à le voir te sourire car inévitablement fier de toi il ne pourrait pas faire autre chose… Merci de nous avoir fait partager ton histoire qui donne encore plus envie de croquer la vie à pleines dents!

  4. J’ai envie d’y aller depuis bien longtemps, mais je me dis que c’est loin, que ça viendrai plus tard. J’ai peur qu’après avoir lu cet article mes projets ne changent radicalement…

    • Merci Corentin pour ton message. Oui, la Patagonie, c’est une terre qui m’a beaucoup marquée… Des paysages puissants ! Je rêve déjà d’y retourner 🙂

  5. Wahhh, j’en ai les larmes aux yeux 🙂 Trop beau ! Je me projète dans tes mots comme si j’y étais et que je pouvais ressentir la même sensation que toi 🙂 J’ai la même histoire et je pars voyager 1 an bientôt… Notamment en Patagonie… 😉

    • Merci Caro pour ton message 🙂 Ravie de savoir que ces quelques mots te parlent. Une personne de ma famille m’a convaincue de publier l’article, me disant qu’il pourrait parler à d’autres… Et je suis ravie de voir qu’elle avait raison 🙂 Je te souhaite déjà un très beau voyage !

      • Oui, je doute de moi sur l’accomplissement de ce voyage, mais en lisant tes mots, je n’ai plus de doute 🙂 c’est cette sensation que je recherche. Et c’est ce temps et ces hommes bons dont tu parles qui sont importants. Vraiment merci d’avoir publier cet article ^^

  6. C’est en séchant mes larmes que j’écris ce commentaire pour te féliciter, on voit que ces mots viennent du coeur.
    Bon voyage, et bonne continuation !

    • Merci Kelly pour ton message 🙂 Des larmes, j’en ai versées également en écrivant cet article, assise dans un bus traversant les vastes plaines de Patagonie. Mais toutes les larmes ne sont pas mauvaises, certaines libèrent…

  7. J’en ai les yeux plein d’eau. C’est magnifique, sensible et vrai. Tu as bien fait de publier Amandine. C’est très personnel, mais si intense et humain que je suis certaine que ce texte pourra résonner chez plusieurs <3

    • Merci beaucoup Bianca pour ton commentaire chargé en émotions 🙂
      Cela me touche beaucoup de voir les échos que peut provoquer ce texte chez les autres.
      Nous sommes tous différents. Tous uniques. Et tous unis par de mêmes émotions… Tous profondément humain.

    • Merci Lucie pour ton message. Le deuil est un sujet tellement intime et universel à la fois… Et un deuil vient souvent en réveiller un autre, plus profondément ancré en nous…

  8. Ton message est magnifique et tu as mis les mots sur mes sentiments. Mon père est décédé il y a quelques mois. J’aurais aimé être capable de trouver ces mots là. Merci d’avoir rendu ces mots publics, en te lisant, j’ai compris quelque chose.

    • Bonjour Stacy, merci pour ton message. Je voudrais te dire de ne pas t’en faire, concernant ces mots que tu n’as pas encore trouvés. Mon père est décédé il y a 7 ans. Il m’aura fallu plus de 6 ans pour vivre ce que je transmets dans cet article…
      Un vécu (et un deuil) n’est pas l’autre. Les mots des autres n’ont jamais pu m’apaiser… Il m’a fallu attendre que je trouve les miens. Je te souhaite de trouver les tiens également, et de trouver cette paix intérieure et le plaisir du souvenir…

  9. Très beau texte sur ton Papa ! Bravo de l’avoir écrit et partagé. Il doit vraiment être fier de sa fille ainée.
    Bonne suite dans tes voyages merveilleux.

  10. J’ai perdu mon papa quand j’avais 13 ans… j’ai pleuré en lisant tes mots…et j’ai décidé de donner le plus de temps possible à ceux que j’aime, tant que je l’ai encore, ce temps. Merci Amandine!

    • Bonjour Shtefana, merci pour ton message, je suis très touchée de te lire.

      Pouvoir dire au revoir à ceux qui nous ont quittés tout en les gardant en nous, et se rappeler que nous ne sommes que de passage et devons en profiter pour passer du temps avec ceux que nous aimons <3 ...

  11. Ce que tu écris est vraiment touchant et résume en même temps plutôt bien le sentiment que j’éprouve actuellement (même si bien évidemment, chaque cas est différent)…

    Lire ton blog me redonne la motivation de voyager à nouveau et d’aller de l’avant. En effet, j’ai perdu ma mère d’un cancer des poumons aussi. C’était l’une des seules personnes qui me soutenait dans mes projets voyages et qui avait confiance en ce que je faisais, et quand je revenais d’un long séjour loin de la maison, ça me faisait du bien de la retrouver et de pouvoir lui partager mes expériences. Maintenant qu’elle n’est plus là, je ressens comme un gros manque… j’avais un peu perdu goût aux voyages car je ne voulais pas « abandonner » ma famille (je me dis qu’il faut que je soutienne mon père), et je n’arrivais pas à me faire à l’idée que je ne retrouverai plus cet accueil chaleureux que j’avais à chaque retour.

    Suites aux décès de ma mère, beaucoup de choses ce sont passé côté relationnel et émotionnel, et cela a changé ma vision de la vie. Depuis, je me remets beaucoup en question et j’éprouve à nouveau le besoin de m’évader.

    Donc je voulais te remercier pour ces mots, et pour toutes ces expériences et sentiments que tu partages dans ton blog 🙂

    • Merci beaucoup Cindy pour ton message à coeur ouvert.
      Ton expérience me parle beaucoup également, et j’avoue que j’ai beaucoup hésité à mettre en pratique mon projet de premier voyage au long cours lorsque mon père est décédé (je raconte plus cela dans l’article sur mon premier grand voyage). Mais la vie continue, et les personnes aimées ne disparaissent jamais totalement : j’aime penser que nous les emportons avec nous…
      Je te souhaite de poursuivre ton cheminement du côté de la vie, de l’espoir et des projets… et je te souhaite de très beaux voyages.
      Au plaisir d’échanger encore dans de futurs commentaires 🙂

  12. Merci infiniment pour ce partage si intime…qui fait du bien! Belle route et beaux voyages à vous Amandine et François, sur les routes et en pensée!

    • Merci beaucoup pour ce gentil message ; cela me touche d’autant plus pour cet article, sans doute le plus intime de tout le blog. Merci pour ces gentils mots !

  13. Très beau texte, bel hommage. Votre papa a l’air de vous avoir enseigné la vraie vie et l’essentiel. Bon voyage et bonne route à vous deux 😉

    • Merci beaucoup ! Mon papa était un grand homme et il m’a enseigné tant de belles choses qu’aujourd’hui encore je médite régulièrement.
      Merci encore pour ce gentil message et le bonjour depuis le Chili, sur le chemin de retour de l’Antarctique.

  14. Je n’arrive pas encore à sourire en pensant à mon papa mais ton beau message me donne de l’espoir ! Le voyage que je fais en ce moment ne change rien aux sentiments d’injustice et de tristesse qui me viennent dès que je pense à lui mais en même temps je ne serais peut-être pas en voyage s’il était toujours là. Et ce tour du monde me fait découvrir tellement de choses, d’endroits, de personnes qui m’enrichissent tous les jours au point que je me sente privilégiée d’avoir osé tout quitter et d’être partie. Peut-être qu’au final tout cela influera sur mes sentiments et que je pourrais vivre plus sereinement !

    • Merci Diane pour ton message. Oui, sourire prend du temps… et même si le temps ne guérit pas tout, il permet d’avoir une certaine distance, revivre et réécrire son histoire. L’injustice, la tristesse et la colère me tenaient aux tripes avant ; cela m’a pris plusieurs années pour accepter, reconnaître ces sentiments et ensuite pouvoir les nuancer, laisser de la place à d’autres émotions, comme la reconnaissance, la « nostalgie heureuse » en me remémorant des souvenirs heureux avec mon papa.
      Je te souhaite en tout cas de poursuivre ce voyage, tant géographique que voyage intérieur, ce voyage à travers le deuil, et d’en ressortir plus sereine.

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