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Un sac sur le dos Un sac sur le dos
Amandine

C’est ici ? Au bout du couloir, deux portes nous font face. Sur chacune, une petite pancarte de couleur. Rose à gauche, bleu à droite. Mais quel côté choisir ? Les codes couleur sont-ils les mêmes au Japon : rose pour les femmes et bleu pour les hommes ? Et si c’était l’inverse ? Ce ne serait pas notre première surprise au pays du soleil levant.

Je vais voir. Au pire, je me dis l’intrusion d’une femme dans le vestiaire des hommes sera moins problématique que celle d’un homme dans celui des femmes…

Mon premier bain public au Japon

Non, non, mauvaise idée, arrête…

Sans écouter les supplications murmurées par François, j’entrouvre la porte et me retrouve dans un vestiaire d’où se dégagent une chaleur agréable et une lumière tamisée. Personne à l’horizon… ah si, une femme qui termine de se déshabiller. Ouf, je suis du bon côté. Je retourne sur mes pas le temps de faire un signe à François : « OK, opération repérage réussie » !

Comment fonctionnent ces bains publics japonais ?

J’aurais dû jeter encore un œil à cet article trouvé sur le net avant de venir… Mais non, trop impatiente de prendre une douche après la randonnée sur ces routes escarpées pour parvenir à l’hôtel, j’ai préféré ruer tête baissée. Agir avant de réfléchir…

Ma nouvelle mission : faire le moins d’impairs possible.

Ces bains sont soumis à toute sorte de rituels. Un geste après l’autre, je me déshabille et me dirige vers la porte qui me sépare des bains. Dois-je bien y aller toute nue ? Dois-je prendre ma serviette avec ? La tête pleine d’hésitations, je décide une fois de plus d’agir…

J’ouvre.

La pièce est aussi grande que le vestiaire, mais une chaleur bien plus forte et bien plus humide s’en dégage. À gauche, un bassin peu profond. À droite, des tabourets blancs en plastique alignés face à des miroirs, chacun accompagné d’un robinet, d’un pommeau de douche, d’une bassine et de bouteilles de savon.

Au bout de la salle, une femme assise sur un des tabourets se lave consciencieusement. Celle que j’avais vue se déshabiller. Frottant énergiquement la plante de ses pieds avec une petite serviette, elle s’asperge avec le petit pommeau de douche fixé face à elle tout en remplissant la petite bassine à ses pieds. Je m’assieds à quelques tabourets d’écart et décide de calquer mon comportement sur le sien. Après ce qui me sembla durer une éternité, la femme se lève finalement, mettant un terme à cette longue toilette. C’est le moment d’entrer dans l’eau chaude.

Avec la même délicatesse que mon modèle, je rentre un pied, puis l’autre dans cette eau lisse. Mes mouvements viennent à peine troubler la tranquillité du bassin. Sa profondeur est idéale pour s’assoir en gardant la tête hors de l’eau tout en s’immergeant entièrement. Je retiens un soupir de soulagement pour ne laisser échapper qu’une profonde respiration.

Silence. Ça coule.

Seul le bruit de l’eau remplissant le bassin vient briser le silence ambiant. Zen zen zen. Le menton sous l’eau, mon regard se perd dans la contemplation des volutes de fumées s’échappant du bassin. Les miroirs ne sont plus que d’étranges formes embuées sur les murs.

Je repense à ces dernières journées. Depuis que nous avons quitté Kyoto pour commencer notre voyage en train, nous avons dormi dans un nouvel endroit chaque nuit : Nara, Himeji, Hiroshima, Miyajima. Et maintenant ici, sur l’ile de Shikoku, au milieu des montagnes verdoyantes, à profiter du « daiyokujo » (ou sento) de l’hôtel. Et demain dans un ryokan avec onsen… Tous ces paysages, toutes ces expériences ! Je souris pour moi-même et ferme les yeux. Je me sens si bien, si loin de tout, je pourrais m’endormir…

Combien de temps reste-t-on dans un bain ?

Cette pensée s’impose à mon esprit comme un électrochoc. Et moi, depuis combien de temps suis-je ici ? Sans attendre de mouvement de la femme immobile non loin de moi, je quitte le bassin. Cela doit faire vingt minutes que je suis ici, je sors. Je me rhabille, n’osant pas vêtir le yukata (kimono) fourni par l’hôtel de peur du ridicule et rejoins François dans le couloir.

Sentō, japon
Sentō, bain public japonais (© sanmai)

Un bain c’est bien, deux c’est mieux…

Après un shabu shabu (fondue japonaise) bien copieux au restaurant de l’hôtel, nous décidons de reprendre un bain. Mais cette fois, c’est en yukata que je m’y rends. J’entre dans le vestiaire, désert. Je me sens plus en confiance, me disant que je sais ce qui m’attend derrière la porte.

Quelle naïve !

À peine entrée dans la salle d’eau, une femme nue me sourit depuis le bain. Une vieille dame comme dans les films. Cheveux blancs, dents manquantes, regard espiègle. Je la salue d’un léger mouvement de tête et m’apprête à me diriger vers mon tabouret, lorsque celles me dit d’une petite voix chantante :

Konichiwa ! (bonjour)

Je réponds et répète le mot de bienvenue. Mais celle-ci fait non de la tête et de ses mains, rit et recommence :

Konbawa ! (bonsoir)

Oui, bien sûr, Konbawa lui dis-je alors. Nous sommes en soirée, un « konbawa » est plus approprié.

Commence alors le cours de langue le plus étrange de ma vie. Nue sur mon tabouret (que j’ai quand même réussi à atteindre), face à cette mamie japonaise tout aussi nue que moi, maintenant sortie du bain, j’ânonne les mots déclamés avec minutie par mon (autoproclamée) professeur.

Mais bien vite les mots ne suffisent pas, voilà qu’elle y joint le geste. Konichiwa s’accompagne de trois mouvements nets des mains encadrant le visage. Konbawa quant à lui a droit à un mouvement unique d’une main souple glissant devant le visage de haut en bas.

Que dois-je faire ? Comment en est-on arrivé là ? 

Je continue à répéter tout en partageant les rires de ma mamie. Rires d’incompréhension. Rires d’étonnement. Rires de plaisir tout simplement devant cet échange improbable.

Voilà qu’elle commence, une fois les bases de mon apprentissage fixées, à me sortir des tirades infinies en japonais. Je souris humblement. Elle continue. Marque une pause et me regarde. Je hoche la tête. Approuver, toujours approuver dans le doute. Elle sourit. Ouf, j’ai eu juste. Elle reprend. Dans sa nouvelle tirade, je perçois le mot « America » ou quelque chose y ressemblant.

Iie, iie (non, non) : Europa. Iie America : Europa, lui dis-je

America, reprend la dame.

Non, Europe. Eu-ro-pa.

America?

Je sens que cette conversation ne finira jamais.

Belgium. Berguire. Beurgere… Mais comment prononçait-il « Belgique » ? Soit, France.

Ah, Franceuh !

Iie. Belgium, close to France.

Ah France !

OK : France !

La dame rit alors de plus belle et reprend une longue tirade où je comprends America et France par-ci par-là. Me revoilà à hocher la tête en rythme. Devant son tourbillon de parole, je reprends ma toilette, le pommeau de douche toujours à la main. Son flot ininterrompu se conclut soudainement par un arigato konbawa (merci bonsoir), que je répète une fois encore.

En refermant la porte derrière elle, elle m’adresse un dernier sourire édenté, de ces sourires qui viennent du cœur et mangent tout le visage. Puis, comme une petite fille, elle ferme rapidement la porte en riant de sa bonne blague.

Décidément, le Japon n’a pas fini de me surprendre…

Immersion au Japon : vidéo « Douceur du Japon »

Pour ceux qui se sentent en manque d’image suite à cette histoire (prendre des photos dans un bain public n’est pas exactement la chose la plus facile à faire !), voici notre vidéo de voyage au Japon tout en douceur, avec entre autres des images d’un onsen… Bon voyage !

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2 réponses à “Histoire de bain : rencontres et découvertes au sento”

  1. J’ai ressenti la même chose que toi la première fois que je suis allée dans un onsen : assez déroutée, peur de faire une bêtise… Bref je n’étais pas super à l’aise ! Même si j’avais lu sur internet quelques conseils pour appréhender ce moment, l’instant venu ce n’est pas la même histoire ^^

    Pour la discussion improbable avec la mamie, j’ai eu aussi quelques expériences comme cela, notamment au restaurant avec des discussions mi anglais, mi japonais avec les quelques mots que je connaissais et l’aide d’un traducteur sur mon iPhone ! Certains japonais (surtout dans les coins plus reculés) sont très curieux concernant les occidentaux ! De belles rencontres !

    • Merci Florence pour ton commentaire; je vois que je ne suis pas la seule à avoir eu ce genre de vécu dans les bains publics au Japon 😉

      Et oui, ça a vraiment été une belle surprise de voir la curiosité de certains Japonais à notre égard. Le souvenir le plus mémorable à ce sujet est sur l’île de Shikoku (encore ! ^^) avec la dame de l’office du tourisme de la ville où nous étions : « Mais, vous êtes blancs ! Il n’y a pas de blancs ici à cette saison, que des touristes asiatiques », l’étonnement sur son visage était amusant à voir 😉

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