Qu’est-ce qui rend un voyage inoubliable ? Les paysages ? Les découvertes culturelles que l’on y fait ? Les saveurs de la gastronomie locale ? Les péripéties et autres aventures plus ou moins prévues que l’on y vit ? Sans doute, oui… Mais aussi et surtout les rencontres. Aujourd’hui, j’ai envie de commencer une série d’articles, sans savoir où cela va me mener ni combien j’en partagerai sur ce blog. Cette série sera dédiée aux belles rencontres qui sont venues embellir nos voyages et les rendre inoubliables.
Antonio, El Salvador
Plusieurs rencontres me viennent en tête et se bousculent, celles qui s’imposent le plus à mon esprit sont surtout d’Amérique latine, une région du monde qui me captive depuis mon plus jeune âge et où les discussions dans une langue que je parle sont souvent très belles et profondes.
Mais si je ne devais n’en raconter qu’une, ce serait celle de José Antonio, ou Antonio pour les intimes.
Notre voyage au Salvador
Le plus amusant, c’est que je le connaissais déjà avant notre voyage au Salvador. Je l’avais aperçu une fois, serré la main et croisé son regard doux et humble. Un homme grand, au visage adouci par l’âge et au sourire léger et généreux. Mais je n’ai vraiment eu l’impression de le rencontrer que quand je suis venue chez lui, dans son pays, dans sa maison… au Salvador.
Un pays qui fait dresser les cheveux sur la tête aux parents, pousser des exclamations de surprise aux voyageur·euses : pourquoi aller là-bas ? Qu’il y a-t-il de si intéressant que cela vaille la peine de prendre le risque de se mettre en danger ? Car au Salvador, le danger est bien réel : c’est un des pays en paix les plus dangereux au monde, avec un taux d’homicide effrayant, surtout au vu de la taille du pays et du nombre d’habitant·es y résidant.
Antonio
Antonio donc, avec ses bras grands ouverts et sa femme, tout aussi joviale et douce que son mari, qui nous accueillent en famille. Au premier jour, nous nous asseyons à table, la télé encore allumée. Des images d’un reportage du journal télévisé tournent en arrière-fond : prison, détenus, maltraitance. Des idées fusent autour de la table « oui, mais s’ils sont en prison, ils l’ont bien mérité ». Mon dos se raidit, la violence m’insupporte, et encore plus sa légitimation. Je sens le regard d’Antonio sur moi : « ici ou là-bas, maintenant ou avant, la violence ne devrait jamais être prise à la légère ». Il hoche la tête, son regard se fait brillant, je sens une sorte de connexion s’établir.
Si je savais que sa famille avait immigré à cause de l’instabilité de son pays, je ne savais pas encore qu’il avait combattu la dictature militaire et fui la guerre civile in extrémis. Lui et sa famille ont une histoire si incroyable qu’un film ne suffirait pas à rendre hommage à leur parcours, leur courage, leur humanité.
Son regard d’une douce intelligence me fixe encore alors qu’il me raconte la prison, les tortures, l’entre-aide. Là où en Europe il n’était qu’un homme parmi d’autres, avec une grosse étiquette « étranger » collé sur le dos ; ici, il est le fils de son père, le père de ses fils, l’homme qui a réussi à passer une thèse de doctorat dans un pays dont il ne connaissait pas la langue en arrivant, et l’homme qui a fait émerger un esprit de communauté, de soutien et d’éducation au sein de la prison, et enfin l’homme qui a réussi à attirer l’attention internationale sur le drame que vivait son pays et qui, jusque là, restait dans l’ombre. Et pourtant, toujours avec son doux sourire et son regard profond, Antonio me dit que ce n’est pas lui tout seul, que c’est le peuple. Le Peuple, un mot chargé d’amour et d’espoir dans sa bouche, et souvent si méprisé dans celle de mes compatriotes.
Pour celleux qui lisent l’espagnol et voyagent en Amérique centrale, essayez de vous procurer le livre qui raconte sa lutte : « Para romper el silencio – Resistencia y lucha en las carceles salvadoreñas » (Pour rompre le silence – Résistance et lutte dans les prisons salvadoriennes), écrit par Claribel Alegria et D.J. Flakoll.
Des heures durant, nous parlons de son histoire. Enfin il parle, et je bois ses paroles avec les oreilles, les yeux et le cœur. J’en frissonne par moment, la chair de poule s’emparant de moi dans ce salon où stagne une chaleur humide. Le passé a laissé place au présent. À ses enfants artistes dont il est si fier, et qui font passer dans leurs chansons des messages d’espoir pour le futur : contre la violence et le changement climatique, pour l’éducation et l’égalité des genres… Parler du bonheur de retrouver ses racines, mais aussi le soleil, la nature et la mer.
Plaisir que j’ai partagé avec lui durant les deux semaines où je suis restée avec sa famille, à découvrir les beautés du Salvador…
Bonjour Amandine,
Quelle belle idée ! Et quel joli hommage à toutes ces Belles Âmes que l’on rencontre en chemin… J’avais cette idée également, et peut-être que je lui donnerai vie bientôt aussi, mais plutôt dans un livre : )
Je suis tellement d’accord avec toi. Il n’y a qu’à voir dans la vie de tous les jours : il suffit d’une rencontre pour que notre journée se transforme… En mieux ou en pire, d’ailleurs ! C’est d’autant plus amplifié en voyage parce qu’en voyage, tous nos sens sont en éveil, on est ultra-sensible, réceptif.
La Salvador, j’y suis seulement passée, en bus, pour aller dans d’autres pays et grâce à tes articles, je peux y voyager maintenant, en pensée ; ) Cela me donne d’autant plus envie d’y aller « en vrai ».
La description que tu fais d’Antonio est superbe, et ses photos l’illustrent merveilleusement. La Bonté avec un grand B émane de cet homme pour qui la vie n’a pourtant pas été tendre. Merci de rendre à ces êtres d’exception toute leur beauté, et leur dignité.